Ave Caesar, morituri te salutant ?

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Aue Caesar, morituri te salutant : « Salut, César (ou « Seigneur »), ceux qui vont mourir te saluent. »

Personne n’ignore que les gladiateurs, à leur entrée dans l’arène, se dirigeaient d’un pas décidé vers la loge impériale pour s’acquitter de cet indispensable usage. Le film Gladiator revient d’ailleurs sur cette formalité, Ridley Scott le rappelle même deux fois.

Et pourtant !

Dès le départ deux détails posent problème, mais personne n’a jamais souhaité leurs porter attention.

D’abord, le aue , en latin, n’est pas un « salut » ou un « bonjour » banal (comme le commun salue ) ; c’est le salut militaire réglementaire, pour ne pas dire obligatoire. Pourtant les gladiateurs ne sont évidemment pas des soldats. Un gladiateur, même retraité, même gracié, même « libéré », ne pourra jamais s’engager dans l’armée : la profession qu’il a exercée le marque à jamais d’ infamia (ce qui revient « grosso-modo » à la perte des droits civils et politiques, au même tire que les prostituées).

Ensuite et avant tout, le morituri est absurde (au sens philosophique du terme) : comment ceux qui vont mourir en seraient-ils sûrs à priori ? Ou bien tous sauraient-ils qu’ils vont mourir de toute façon ? Évidemment non, en combat singulier, il y a par définition un survivant sur deux. Un gladiateur bien entraîné est un investissement qu’on ne sacrifiera pas à la légère – loge privée, autorisations de sorties dans les lupanars de Rome, voiture avec porteurs, le statut de sportif n’a jamais vraiment évolué. Le perdant obtient toujours sa grâce (uenia ).

La formule existe néanmoins.

Ce n’est pas une formule ex nihilo (sortie de nulle part), elle a bien été prononcée, mais une seule fois, devant l’empereur Claude. En effet, Claude offrait à son peuple des Jeux pour immortaliser les grands travaux d’agrandissement du port d’Ostie. Durant ces Jeux démesurés, le clou du spectacle fut la naumachie (combat naval reconstitué quasiment à l’échelle, dans le stade). Pour cette reconstitution, Claude fait appel à des vrais soldats déjà condamnés à mort pour désobéissance (ou tout ce qui peut être inclus dans le terme « insubordination ») plutôt qu’à des figurants pour toucher au plus près la vérité historique. Bref. Ce n’était rien d’autre qu’un moyen original d’effectuer une exécution publique. L’adresse de ses soldats déchus à l’encontre de Claude n’a donc rien d’original.

Ce qui l’est plus c’est l’incident qui suivit, s’adressant à lui les ex-soldats lui demandèrent grâce avant le combat, et Claude répondit : aut non : « ou bien non, peut-être pas ». Les condamnés ne combattirent que plusieurs heures après cet incident, refusant le combat et ne cédèrent qu’aux injonctions de Claude qui les menaça des pires maux dans cette vie et dans l’autre.

Aue, Caesar, morituri… C’était dit.

La formule est donc vraie, mais elle n’est qu’un épisode historique et non une généralité comme le rapporte la légende urbaine.

About the author

Fondateur de Nonobstant, écrivain public à Nantes.
Professeur de Français, de Latin et de Grec.
Formateur éloquence pour l'Académie de Nantes

Commentaires

  1. Merci pour cette précision, j’ignorais complètement l’usage strictement militaire de « aue ». Ceci dit, en y réfléchissant, quand les catholiques récitaient le « Je vous salue Marie » en latin, c’était bien « Salue Regina » et non « aue »… Si, cela avait été le cas, la cause des femmes aurait avancé autrement plus vite sans doute !

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